Canal Plus pris au piège de Netflix

Le groupe Canal vient d’annoncer le lancement d’une offre « pour les moins de 26 ans ». Vision stratégique d’un marché TV en plein doute ou gesticulation court termiste pour tenter de sauver la face ?

Canal a tué son offre SVOD

Tout était parti d’une louable intention : alors que M6 et TF1 préféraient tout miser sur le gratuit avec le Replay en refusant d’accorder la moindre attention à la SVOD balbutiante, Canal a eu le courage de se lancer dès 2011 sur le marché de la SVOD. Pourtant la chaîne cryptée devait faire face à deux contraintes à l’époque : ne pas faire d’ombre à l’offre premium vendue à 40 euros et construire une programmation attractive pour CanalPlay Infinity dans le respect des injonctions de l’Autorité de la Concurrence, c’est-à-dire sans pouvoir proposer les séries financées par la chaîne.
On connait la suite ! Canalplay n’a pas pu résister à la déferlante Netflix et finit actuellement sa vie sans application, planqué dans l’offre Canal Start !!

La fin d’une époque

Dans le même temps, Canal envoie des signes troubles au marché : fin de la maîtrise totale de son auto-distribution avec des accords de distribution avec les FAI, capitulation partielle de l’aventure des box made by Canal avec l’accord signé en avril avec Apple TV et finalement tentation du tout OTT avec cette nouvelle offre destinée aux jeunes. Canal n’est plus Canal : si on ajoute à cela la réduction des fenêtres en clair, l’absence d’incarnation de ses présentateurs et la refonte de son offre de prix franchement pas simple à décrypter, on se dit que Canal tente à tout prix d’enrayer la perte de ses abonnés directs.

Un ersatz, sinon rien ?

Un pari très risqué pour Canal qui, dans un premier temps, limitera cette offre à moins de 10 euros aux 100.000 premiers abonnés de moins de 26 ans, carte d’identité à l’appui. L’espoir de Maxime Saada est que cette offre soit perçue comme la riposte à l’insolente réussite de Netflix. Mais un ersatz de Canal à moins de 10 euros est-il en mesure de contrarier l’expansion de Netflix aujourd’hui, d’Amazon demain et Disney après demain ?
En optant pour une stratégie 100% OTT via myCanal, Canal espère réinventer un modèle économique à bout de souffle qui aura pour cible les autres écrans de la maison, même si myCanal est accessible sur un téléviseur via la clé Chromecast, l’Apple TV et certaines marques de téléviseur. La question est de savoir si ce qui séduit les jeunes chez Netflix les séduira chez un sous-Canal !

Sport et Cinéma récent pour combattre Netflix

L’offre éditoriale s’appuiera sur l’offre premium de Canal, mais en moins complet : moins de sport, le cinéma de Canal et ses séries, les chaînes de la TNT et leur Replay, à l’exception de celui des chaînes TF1, toujours pas disponible dans l’univers Canal. Seul véritable avantage concurrentiel de Canal sur le cinéma, c’est que cette offre permettra de retrouver les films disponibles dans la fenêtre Pay TV de Canal et en multi diffusion bien avant qu’ils ne le soient sur Netflix (à 36 mois).

myCANAL, l’espoir de tout un groupe

Ce n’est pas un hasard si le lendemain de l’annonce de sa nouvelle offre Canal a publié un second communiqué annonçant un record d’audience pour myCANAL, « 1ère App TV en France. » Et d’expliquer qu’avec 11,2 millions de visiteurs uniques en mars 2018, myCANAL a battu son record historique sur un mois, soit 1,3 million de visiteurs uniques quotidiens. Un score qui lui permet de revendiquer la place de « service numéro 1 dans la catégorie média, TV, qui comprend aussi les services de streaming (source Mediametrie/Netratings). » Comprendre que l’application se classe devant celle de Netflix et celle de Molotov, les deux principaux rivaux de Canal en OTT.

Passage de témoin

Une fois les 100.000 abonnements écoulés, signe de succès, que fera Canal ? Ouvrir les vannes des abonnements à moins de 10 euros, recruter des centaines de milliers de nouveaux abonnés opportunistes, cannibaliser ses offres plus chères dont celle à 19,90 déjà disponible en OTT, et creuser ses pertes opérationnelles ? D’autant qu’il y a de fortes chances que 2018 se termine avec un Netflix à 4 millions d’abonnés, symbole du passage de témoin entre la télévision linéaire payante et « l’internet television » si chère à Reed Hastings le patron de Netflix.
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